La France avait déjà adopté un statut protecteur des lanceurs d’alerte, par la loi Sapin II du 9 décembre 2016 (« relative à la transparence, à la lutte contre corruption et à la modernisation de la vie économique ») [1], en avance dans l’Union européenne, mais dont l’application restait limitée en raison de la poursuite des représailles par de nombreux employeurs [2] . Le 23 octobre 2019, l’Union européenne a adopté une directive 2019/1937 dans le même objectif mais dont les clauses allaient plus loin que la loi française et permettaient d’en envisager des améliorations. C’est ce que vient de terminer le Parlement français par l’adoption de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte », complétée d’une loi organique n° 2022-400 « visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte ».

Consolidation et élargissement de la définition du lanceur d’alerte

La lanceur d’alerte est toujours une personne physique« qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».

Cette formule assouplit la définition du lanceur d’alerte par la formule « sans contrepartie financière directe » qui remplace l’ancienne définition « de manière désintéressée », car un lanceur d’alerte peut avoir pour bénéfice au bout du compte la fin d’une discrimination par exemple, ce qui rendait jusque-là son signalement suspect d’un intérêt personnel. Le lanceur d’alerte n’a plus non plus besoin d’avoir « personnellement connaissance » des faits qu’il divulgue, s’ils sont dans le cadre professionnel, ce qui est la grande majorité.

D’autre part, la protection de la nouvelle loi s’étend aussi aux « facilitateurs », c’est-à-dire ceux qui ont aidé à monter le dossier, ouvrant la voie en particulier aux syndicats, associations comme facilitateurs, voire collègues.

Assouplissement des procédures de signalement

La loi Sapin II avait créé une procédure avec la succession obligatoire de 3 niveaux de signalement : interne, puis externe, puis public. Le premier niveau, dans l’entreprise ou le service ou établissement public restait très dangereux en termes de représailles directes allant jusqu’au licenciement : quelques exemples médiatisés l’ont bien montré (Luxleaks, Mediator…).

Dorénavant la première phase de signalement interne est toujours recommandée, mais non obligatoire, selon que les lanceurs d’alerte « estiment qu’il est possible de remédier efficacement à la violation par cette voie » et « qu’elles ne s’exposent pas à un risque de représailles ». Cet abandon par la nouvelle loi du caractère obligatoire du signalement interne est institué même si toutes les entreprises et services publics de 50 salariés et plus sont tenus d’avoir une procédure de signalement interne et que sa création doit avoir été mise à la consultation du CSE ou du Comité social.

Le lanceur peut choisir d’aller directement au signalement externe, auprès d’une autorité administrative ou judiciaire dont la liste exacte sera précisée par décret.

La divulgation publique sera postérieure, en cas d’alerte interne ou externe vaine, et ne pourra être directe qu’en cas exceptionnels de danger grave ou imminent, ou si le signalement externe ne peut être efficace ou peut entrainer des représailles.

Le Défenseur des droits a pour rôle, dans ce processus, d’orienter le lanceur d’alerte et de lui apporter un appui.

Renforcement des mesures de protection

La loi consolide les mesures de protection existantes, complète la liste des mesures de représailles prohibées. Elle renforce les sanctions contre ceux qui utilisent les « procédures-baillons » en multipliant les poursuites contre les lanceurs d’alerte : l’amende civile maximale est doublée à 60 000 €.

Elle exige la confidentialité autour de l’alerte, notamment l’identité du lanceur, de la personne mise en cause, des informations du dossier. Elle affirme l’irresponsabilité du lanceur d’alerte, y compris s’il a intercepté, « détourné ou recelé », dit la loi, des documents confidentiels, à condition qu’ils aient été obtenus de façon licite. L’irresponsabilité pénale du lanceur d’alerte est aussi acquise s’il « porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de la définition du lanceur d’alerte ». Le tout à condition que ce soit « de bonne foi ».

Également, elle donne aux prud’hommes la possibilité d’abonder le CPF du lanceur jusqu’à 8 000 €.

Ainsi, cette loi apporte de réelles améliorations à la protection des lanceurs d’alerte. Les décrets d’application seront à suivre, car la loi entrera en application le 1er septembre de cette année. Il faut espérer que cette protection permettra à la procédure d’alerte d’exister chaque fois qu’il y en aura un motif et d’en devenir une procédure normale.

Références